Patrimoine sans frontières

Compte-rendu de la Journée : "Patrimoine et transmission mémorielle" - le 21 novembre 2015 à Paris

Retour sur la journée débats et tables rondes : « Patrimoine et transmission mémorielle »

Le 21 novembre 2015 de 9h30 à 17h à l’École nationale supérieure d'architecture Paris-la Villette.

La journée de tables rondes et de débats du 21 novembre dernier s’est déroulée à l’École nationale supérieure d'architecture Paris-la Villette, en partenariat avec celle-ci, et l’association étudiante « Mnémosis ». Entre théorie et pratique, cette journée a donné lieu à des échanges riches et de qualité sur les notions de patrimoine et de transmission mémorielle.

 

Le matin :

Durant la matinée, six intervenants ont présenté différentes études de cas : en France, en Australie, en Roumanie et en Biélorussie portant sur les questions de la transmission suite à une situation vécue difficilement par une population. Cette première table ronde et les discussions qui s’en suivirent ont été modérées par Jad Tabet, vice-président de Patrimoine sans frontières. Un premier débat s’est concentré sur la politique de médiation des lieux de mémoire, avec l’idée qu'ils pourraient « aller vers » les visiteurs plutôt qu’uniquement les « recevoir ». Le second débat a porté sur l’importance de la réadaptation à la vie quotidienne/normalité des populations touchées par une situation difficile, une catastrophe, un conflit, etc., autrement dit sur la nécessité pour ces populations de retrouver leurs repères lorsque ces situations exceptionnelles cessent.

Les interventions du matin en bref :

o Le programme « Villages perdus », mené dès 2002 par Patrimoine sans frontières, a choisi le processus participatif de collecte d’informations (témoignages, documents, photos,...) pour transformer des connaissances implicites en connaissances explicites afin de développer une « culture radiologique pratique » qui permettrait de transmettre de génération en génération les comportements les plus appropriés pour vivre dans un environnement qui est contaminé par un agent radioactif. Romain Bijeard (délégué général de Patrimoine sans frontières).

o Né en 2008, le projet du site Internet « mémoiredescatastrophes.org » a pour thème central le trauma d’une catastrophe de nature imprévisible. Par l’appropriation de l’expérience, la mémoire narrative met les mots pour se retrouver avec ceux qui sont autour de « nous ». Cela contribue à la résilience collective ou sociétale, transformant la mémoire morte ou traumatique en mémoire vivante. Serge Tisseron (psychiatre, docteur en psychologie, habilité à diriger des recherches à l’Université Paris VII Denis Diderot).

o Un lieu de mémoire visité par un public scolaire, moment central dans un travail de deuil positif, devient un lieu touristique. On peut également parler de « consommation culturelle » avec des visiteurs devenant observateurs de la douleur des autres - et questionnant le « dark tourism ». Le visiteur et le jeune public prennent une place et ont de l’importance dans ce travail de réappropriation mémorielle. Véronique Antomarchi (docteur en histoire, professeur agrégée d’histoire à l’IUT Paris Descartes).

o Les constructions de grands barrages de Haute-Dordogne ont imposé un sacrifice à la population locale, contrainte au déplacement. Le projet « 100 témoins de la Vallée de la Dordogne et des barrages » soulève la question de la transformation de la vallée et participe pleinement à la restitution de l’histoire sociale rurale de la France dans les années 1939-1960. Armelle Faure (anthropologue, docteur EHESS, consultante internationale).

o Au sein de la population aborigène de la banlieue de Sydney, des groupes de paroles servent à l’expression de traumatismes (issus du traumatisme colonial et de la mémoire qui en découle). Une mise en lumière de l’Ombre a lieu dans ces groupes de paroles, à travers une mise en mot du non-dit, une production réflexive et une transmission involontaire du faitiche « traumatisme » . Edgar Tasia (aspirant FNRS en anthropologie à l’Université Libre de Bruxelles, Laboratoire d’Anthropologie des Mondes Contemporains).

o Suite à la démolition d’un tiers des habitations des villages roumains et à la spéculation de 1989, la dégradation (due aux restitutions en nature, à l’abandon et à la pauvreté) sert de légitimation. Différentes formes de mobilisation existent : archéologique, architecturale, paysagère et culturelle. Ioana Iosa (architecte-urbaniste, maître assistant à l’ENSA Paris La Villette et chercheur au Centre de recherche sur l’Habitat/UMR LAVUE).

L'après-midi :

Les éléments de notre patrimoine individuel et leur transmission dans un processus de construction collective furent mis à l’honneur durant l’après-midi, à travers un panel d’interventions des plus variées, avec des exemples de pratiques en France et à l’international (en Inde). Xavier Greffe, professeur d'économie à l'Université Paris 1, modérateur pour l’occasion, a permis au public de poser des questions ou d’alimenter la réflexion entre chaque intervention, en plus du débat final. Ont été soulevés : la communication ou visibilité donnée aux projets, la question de l’oubli, le caractère sacré du patrimoine ou encore de façon plus pragmatique les sources de financement.

Les interventions de l'après-midi en bref :

o Pour la troisième année consécutive, « Patrimoine en partage », un programme de sensibilisation au patrimoine et à la diversité culturelle, fait réfléchir les élèves allophones nouvellement arrivés et scolarisés en classes d’accueil, dans un processus de réappropriation de leur culture d’origine, sur quatre thématiques - le lieu, la langue, la fête et un thème libre ou bien une visite d’un site du patrimoine local. En fin d’année scolaire, chaque élève se voit remettre un livre souvenir compilant tous ses travaux et ceux de ses camarades. Tiphaine Mérot (directrice du programme Patrimoine en partage chez Patrimoine sans frontières).

o Le patrimoine comme compétences : entre communication et transmission mémorielle il y a un patrimoine social, un patrimoine institutionnalisé, sans oublier des associations et des individus ou groupes d’individus qui en établissent une nouvelle définition. Face à des problématiques patrimoniales multiples, la sociologie critique soulève les questions de la marchandisation du monde, et de la spectacularisation du patrimoine. Alain Chenevez (maître de conférences à l’Université de Bourgogne et membre du laboratoire CIMEOS).

o Le patrimoine comme expérience illustre une filiation inversée autre que la transmission père-fils. Les lieux animés par des acteurs culturels alternatifs peuvent devenir des espaces de diffusion (ex : l’héritage ouvrier au Festival Avatarium à Saint-Etienne) notamment pour les histoires occultées. De cette façon, se mélangent différentes références culturelles. Sandra Trigano (docteure en sociologie et anthropologie politique, Université Jean Monnet de Saint-Étienne).

o Le patrimoine architectural dans les villes de la région du Shekhawati en Inde est en voie de disparition suite à des facteurs de dégradation, un développement urbain et une pression foncière qui tendent à une uniformisation du paysage urbain. Les associations locales transmettent cette mémoire afin de préserver l’identité de la communauté Marwari et favoriser la cohésion sociale. Juliette Pinard (Master 2 - Programmation, Projet et Management Urbain, Urbanisme et aménagement).

Conclusion :

- Les interventions, en évoquant des situations très diverses ont toutes permis des échanges faisant particulièrement ressortir la multitude de perceptions et de réactions que peuvent susciter la transmission d’une mémoire individuelle ou collective.

- Un traumatisme ou une catastrophe n’est pas choisi par une population, mais celle-ci peut se donner les moyens de participer à la lecture qui en sera faite (le plus souvent dans des actions collectives). De cette façon, elle peut se réapproprier l’histoire qui est la sienne, entreprise d’autant plus difficile lorsque la portée de l’évènement nous dépasse en tant qu’individus.

- Les pouvoirs publics jouent un rôle majeur, de part le contexte politique, économique et social propre à chaque territoire, dans le travail qui sera mené, ou qui pourra être mené dans un processus de transmission mémorielle ou de patrimonialisation. Mais d’autres acteurs se doivent d'intervenir pour discuter ce processus et donner une voix à la société civile. Les actions de médiation culturelles (menées dans le cadre de projets associatifs ou autres structures) font témoigner les populations, les accompagnent dans la visite de lieux de mémoire, ou permettent de s’ouvrir et de découvrir des pratiques oubliées par le temps. L’intervention des artistes, dans les actions de médiation, peut jouer un rôle clef dans le processus de transmission au cours du temps, par un travail de création qui permettra d’invoquer de nouveaux imaginaires, de mobiliser d’autres sens ou de proposer une nouvelle représentation de cette mémoire.

- Cette journée a ainsi été l’occasion de faire apparaître le patrimoine comme l’expression du pluralisme. Pluralisme de cultures, d’histoires, d’évènements. Ainsi, la question de la transmission doit nécessairement rendre compte de cette pluralité de patrimoines, et c’est ainsi qu’elle peut être, non pas nécessairement comprise, mais appréhendée et partagée par tous.

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